mardi 11 novembre 2008

Russie: accident mortel à bord d'un sous-marin en phase d'essais - les infos techniques russes


Par Ilia Kramnik, RIA Novosti, 11/ 11/ 2008, 10h59


L'accident du sous-marin nucléaire Nerpa, qui a emporté la vie de 20 personnes, est le plus grave de ce type en Russie depuis la catastrophe du Koursk en 2000. Comme tout accident à bord d'un sous-marin nucléaire, cet événement a attiré l'attention de la presse russe et internationale, engendrant une multitude de rumeurs et d'hypothèses.

Il est sans doute impossible de reconstituer les étapes de cet accident avant d'avoir eu connaissance des conclusions de l'enquête, mais on peut se les imaginer. Tout d'abord, il faut préciser les termes employés et souligner que le sous-marin n'avait pas encore été mis en dotation de l'armée et n'était qu'au stade des essais.

Une catastrophe s'est produite à bord du sous-marin nucléaire K-152 Nerpa. C'est ainsi qu'on appelle un accident entraînant la mort d'êtres humains, alors que le terme de panne, employé par de nombreuses personnes, signifie un incident qui n'a pas fait de victimes. Un déclenchement accidentel du système anti-incendie a été officiellement reconnu comme la cause de cet accident.

Ensuite, il importe d'analyser quels sont les équipements anti-incendie dont disposent les sous-marins. Les submersibles russes sont équipés de deux types de systèmes d'extinction du feu. Le premier, un système de mousse à air comprimé, est destiné à éteindre des foyers locaux. Le second, chimique, est utilisé pour éteindre des incendies de grande envergure (excepté les inflammations de poudre et de munitions), à l'aide de gaz inertes, notamment le fréon ou ses dérivés. Le fréon absorbe l'oxygène, ce qui stoppe l'incendie.

Le fréon est un moyen extrêmement efficace d'extinction du feu. Il est indispensable en cas d'incendie de grande envergure, mais est très toxique. Son inhalation peut entraîner l'empoisonnement et la mort. Ce risque est justifié dans les rudes conditions des sous-marins et est partiellement compensé par le fait que les membres de l'équipage possèdent des moyens de protection individuelle.

Les systèmes chimiques d'extinction des incendies sont installés dans tous les compartiments du submersible sauf le compartiment des réacteurs (cette partie n'est pas surveillée en permanence, elle est protégée par les systèmes des compartiments voisins) et assurent l'extinction dans le compartiment où ils sont installés ou dans le compartiment voisin.

Ce système est actionné depuis le compartiment où il se trouve, mais, selon les spécialistes, dans les sous-marins de la troisième génération (dont le Nerpa), le déclenchement du système chimique peut être effectué depuis un poste central de commande. En tous cas, une intervention humaine est indispensable pour que le système soit mis en marche. Tous les spécialistes soulignent que celui-ci ne peut pas se déclencher seul. L'histoire connaît un accident de sous-marin dû à une erreur humaine (survenu au cours de réparations du submersible K-77, le 13 février 1976; les marins s'étaient alors trompés de compartiment en éteignant un incendie, car les soupapes avaient été mal marquées à l'usine de l'assemblage), mais ce système ne fonctionne pas automatiquement.

Des systèmes de ce type étant installés sur tous les sous-marins de la flotte russe, on peut supposer que le K-152 était doté des mêmes moyens anti-incendie.

Le système chimique d'extinction des incendies peut être déclenché non seulement depuis le poste central de commande, mais aussi directement par le chef du compartiment, sur place. Conformément aux règles de conduite ayant trait à la capacité de survie, établies par un document approprié, le chef de compartiment a le droit d'agir de cette façon dans les cas suivants:

- absence de liaison avec le poste central;

- impossibilité de trouver ou d'éteindre tout de suite le foyer d'incendie par d'autres moyens;

- propagation rapide du feu;

- présence de substances régénératives dans le foyer d'incendie;

- feu dans des pièces ou compartiments étanches et inhabités.

Le personnel possède des appareils respiratoires qu'il utilise en cas d'incendie (systèmes IDA-59 ou IDA-59M), qui permettent de rester entre 10 et 30 minutes dans une atmosphère impropre à la respiration (cette durée dépend de l'intensité de la respiration: plus les efforts physiques sont importants, plus les réserves d'oxygène s'épuisent rapidement).

Le poste central peut décider de déclencher le système chimique dans le compartiment et donner un ordre approprié en cas de déclenchement des détecteurs des systèmes d'alarme incendie ou de réception d'informations par le système d'interphone à haut-parleurs. Il est à noter que les détecteurs des systèmes d'alarme incendie donnent parfois une fausse alerte. C'est pourquoi la fiabilité de la liaison entre le poste central et le compartiment en panne revêt une très grande importance. Or, cette alarme ne fait qu'informer de l'incendie, mais elle ne déclenche pas le système chimique d'extinction.

Après avoir brièvement étudié le système d'extinction des incendies, on peut revenir à l'analyse des événements survenus à bord du K-152. Ce submersible, dont la construction vient d'être achevée, était au stade des essais. Un grand nombre de spécialistes civils (81 personnes) - ouvriers et ingénieurs - se trouvaient donc à son bord aux côtés des membres de l'équipage. Il y avait au total 208 personnes. Dans leur grande majorité, les spécialistes civils n'ont aucune expérience de la survie et du sauvetage à bord d'un sous-marin.

Les spécialistes civils participant au programme d'essais préparent le submersible à la mise en service de concert avec l'équipage, en vérifiant le fonctionnement de tous les systèmes et appareils.

Que s'est-il donc passé dans le compartiment torpilles du K-152? En se basant sur la version officielle et les informations selon lesquelles aucune des victimes (21 personnes) n'a reçu de brûlures, on peut supposer qu'aucun incendie ne s'est déclaré à bord du bâtiment. Il y a probablement eu un petit foyer qui a enfumé le compartiment et provoqué le déclenchement de l'alarme incendie. Résultat: le poste central de commande ou le chef du compartiment, sans avoir bien compris la situation, ont décidé de mettre en marche le système d'extinction chimique.

L'atmosphère dans le compartiment concerné est donc devenue irrespirable, ce qui a entraîné la mort de ces 21 personnes. Parmi les 41 personnes touchées par l'accident, 36 étaient des civils. Ceci est dû sans doute au fait que les civils ne savent pas manier les appareils respiratoires individuels ou bien qu'il n'y en avait pas suffisamment à bord, en raison du grand nombre de personnes engagées dans les essais.

Il est prématuré de rechercher les coupables, tant qu'on ignore les vraies circonstances de l'accident. Mais on peut déjà tirer les premières conclusions. Par exemple, on peut conclure que les ouvriers et les ingénieurs participant à la construction et aux essais doivent être préparés à agir dans une situation d'urgence, dont un incendie et un déclenchement du système d'extinction chimique dans un compartiment. En outre, il faut réfléchir à la question de savoir s'il est vraiment nécessaire de rassembler un aussi grand nombre de personnes à bord d'un sous-marin subissant des essais.

Il ne nous reste qu'à espérer qu'une leçon sera tirée de cette tragédie et qu'un tel accident ne se répétera pas.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.


Le Point.fr: Un sous-marin russe non-identifié qui appartiendrait à la classe Akula, selon la terminologie de l'Otan. Une vingtaine de personnes ont péri et 21 autres ont été blessées samedi lors d'un accident à bord d'un sous-marin russe à propulsion nucléaire de la casse Akula, dans l'océan Pacifique. /Photo prise le 25 juillet 2008/REUTERS/Yuri Maltsev


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